Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol18.djvu/25

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livrées, elles devaient être nécessaires, — quelles coûtaient le salaire de deux ouvriers pendant l’été, c’est-à-dire près de trois cent jours de travail, et d’un travail pénible, de l’aube à la nuit. Ce billet de cent roubles fut dur à tirer. Le billet suivant, changé pour l’achat du dîner de la famille, dîner qui coûtait 28 roubles — ce qui représentait à Lévine 9 tchetvert d’avoine fauchée, bottelée, mise en meule, battue au prix d’un travail écrasant — ce billet, cependant, fut plus facile à changer. Depuis, les billets se transformaient en monnaie sans éveiller de semblables considérations et volaient comme des petits oiseaux. La comparaison du travail nécessaire pour produire l’argent, avec le plaisir obtenu, depuis longtemps ne se faisait plus. Le principe qu’il y a un certain prix au-dessous duquel on ne peut vendre un certain blé était également oublié. Le froment dont il avait tenu le prix si longtemps, il le donnait maintenant à 50 kopeks de moins par tchetvert qu’il l’avait refusé un mois auparavant. Même le calcul qu’en allant de ce train on ne pourrait vivre une année sans faire de dettes, même ce calcul n’avait plus pour lui d’importance. L’important, c’était d’avoir de l’argent à la banque, sans se demander d’où il venait, pour être toujours sûr d’avoir de quoi acheter la viande le lendemain.

Et cela il l’observait toujours. Il avait toujours de l’argent à la banque. Mais maintenant le compte