Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol18.djvu/267

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souvent pendant toute la nuit et ne dormir que deux ou trois heures par jour. Et chaque année cela se fait dans toute la Russie.

Vivant la plupart du temps à la campagne et en intimité avec le peuple, Lévine, à l’époque du travail, se sentait toujours gagné par cette suractivité.

Dès le matin, il partait à la première semaille de seigle, d’avoine : il rentrait à la maison pour le lever de sa femme et de sa belle-sœur, il prenait avec elles son café et s’en allait à pied au village où on devait mettre en marche la nouvelle machine à battre.

Tout ce jour, Lévine, bien que causant avec l’intendant et les paysans, et, à la maison, avec sa femme, Dolly, les enfants, son beau-père, ne pensait qu’à la chose qui, malgré les soucis de l’exploitation, le préoccupait sans cesse ; il cherchait une réponse à ses questions : « Que suis-je ? Où suis-je ? Pourquoi suis-je ? »

Debout au milieu de la grange nouvellement construite, Lévine regardait par la porte ouverte, tantôt la poussière sèche et amère du blé qu’on battait, qui s’élevait et retombait sur l’herbe éclairée par le soleil chaud et sur la paille fraîche qu’on venait de sortir de la grange, tantôt les hirondelles au ventre blanc qui, en sifflant, s’installaient sous le toit, tantôt les paysans qui travaillaient dans la grange sombre et pleine de poussière ; et ses idées étaient étranges.