Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol18.djvu/276

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« Que sais-je, et comment vivrais-je, si je n’avais ces croyances, si je ne savais pas qu’il faut vivre pour Dieu, et non pour ses besoins ? Je pillerais, je mentirais, je tuerais. Rien de ce qui fait la joie principale de ma vie n’existerait pour moi. »

Malgré les plus grands efforts d’imagination, il ne pouvait se représenter la créature bestiale qu’il serait s’il ne savait pas pourquoi il vivait.

« J’ai cherché la réponse à ma question, tandis que ma pensée n’en pouvait donner. Elle n’est pas compatible avec la question. C’est la vie elle-même qui m’a donné la réponse dans ma connaissance de ce qui est bien et de ce qui est mal. Cette connaissance je ne l’ai acquise par rien, elle me fut donnée comme à tout le monde. Elle me fut donnée, car il m’était impossible de l’acquérir.

« D’où l’ai-je prise ? Est-ce par la raison que je suis arrivé à la pensée qu’il faut aimer son prochain, ne pas le tuer ? On me l’a dit dans l’enfance, je l’ai cru joyeusement parce qu’on m’a dit que c’était dans mon âme. Et qui l’a découvert ? Pas la raison. La raison a découvert la lutte pour l’existence, elle commande au contraire d’écraser tout ce qui entrave la satisfaction de mes désirs. Telle est la conclusion de la raison. Mais la raison ne pouvait découvrir la pensée d’aimer son prochain parce que c’est déraisonnable.