Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol18.djvu/315

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Mais elle n’aurait pu le bien voir si un éclair, qui de nouveau éteignit les étoiles, n’eût éclairé son visage.

Elle l’examina alors attentivement, et le voyant calme et joyeux, elle lui sourit.

« Elle comprend, pensa-t-il. Elle sait à quoi je pense. Faut-il lui dire ou non ? Oui, je lui dirai. » Mais au même moment elle se mit à parler.

— Tiens, Kostia, rends-moi un service, dit-elle. Va dans la chambre du coin, et regarde si on a tout préparé pour Serge Ivanovitch ; si on a mis le nouveau lavabo.

— Bien, j’irai, dit Lévine, se redressant et l’embrassant.

« Non, il ne faut rien dire, pensa-t-il quand elle se fut éloignée. C’est un mystère nécessaire, important pour moi seul et inexprimable par des paroles.

« Ce nouveau sentiment, de même que le sentitiment paternel, ne m’a pas changé, ne m’a pas fait heureux, ne m’a pas éclairé d’un coup, ainsi que je l’avais cru ; il n’y eut aussi aucune surprise. La foi, le manque de foi, je ne sais ce que c’est, mais ce sentiment est entré imperceptiblement dans mon âme, par la souffrance, et s’y est installé solidement.

« Je me fâcherai encore contre le cocher Ivan ; je continuerai à discuter bien ou mal à propos ; il y aura toujours le même mur entre le sacro-saint de mon âme et les autres, même ma femme ; je l’accu-