Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol18.djvu/42

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Il tâchait d’éviter les amateurs et les bavards, et, debout, les yeux baissés, il écoutait.

Mais plus il écoutait la fantaisie du Roi Lear, plus il se sentait incapable de s’en faire une opinion nette. L’expression musicale de ses sentiments tout le temps paraissait se concentrer mais aussitôt se dispersait en morceaux ayant toujours l’air de commencements, et parfois, tout simplement, en sons très compliqués, liés uniquement par le caprice du compositeur. Même les sons de cette expression musicale, parfois très bonne, étaient désagréables parce qu’ils étaient tout à fait inattendus et préparés par rien. La gaîté et la tristesse, le désespoir, la tendresse, le triomphe, paraissaient soudain, sans aucune raison, comme les sentiments d’un fou, et de même que chez un fou, ils se montraient tout à fait inopinément.

Tout le temps de l’exécution, Lévine éprouva l’impression d’un sourd qui regarde des danseurs. Il fut très étonné quand le morceau se termina, et il éprouva une grande fatigue due à une tension d’esprit que rien ne récompensait. Tous se levèrent, se mirent à marcher, à parler. Désirant s’expliquer, d’après l’impression des autres, son étonnement, Lévine se mit à la recherche de connaissances. Il fut très heureux d’apercevoir un amateur très connu en conversation avec une personne de sa connaissance, Pestzov.

— C’est admirable ! disait Pestzov d’une voix