Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol18.djvu/66

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malgré lui, fit attention. C’était le portrait d’Anna fait en Italie par Mikhaïlov. Pendant que Stépan Arkadiévitch contournait la jardinière et que cessait la conversation, Lévine regardait sans pouvoir s’en détacher, le portrait qui semblait sortir du cadre. Il oubliait même où il était et sans écouter ce qu’on disait, il ne pouvait détourner ses regards de cet admirable portrait. Ce n’était pas un tableau, c’était une belle créature vivante, aux cheveux noirs ondulés, les épaules et les bras nus ; un demi-sourire pensif glissait sur les lèvres ombrées d’un léger duvet ; elle le regardait d’un air triomphant. Elle n’était pas vivante, uniquement parce qu’elle était plus belle que ne peut l’être une personne vivante.

— Je suis très heureuse, lui disait soudain près de lui cette même femme dont il admirait le portrait.

Anna s’avancait à sa rencontre quittant la jardinière, et Lévine aperçut dans la demi-obscurité du cabinet la femme du portrait en robe bleu foncé, mais dans une autre pose, avec une autre expression, mais avec autant de beauté qu’en avait exprimé l’artiste. En réalité, la femme vivante était moins éclatante, mais en revanche, il y avait en elle quelque chose de nouveau, d’attirant, qui ne se trouvait pas dans le portrait.