Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol19.djvu/101

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morceau de bois, si l’installation de tout cet édifice est raisonnable ? le mendiant doit d’abord faire mouvoir le morceau de bois. S’il exécute ce mouvement, il comprendra que ce morceau de bois active une pompe, que la pompe fait monter l’eau, que l’eau coule dans le jardin. Ensuite, on l’éloignera du puits couvert, et on le mènera à un autre endroit, pour une autre besogne : il cueillera des fruits, il comprendra la joie de son maître. Passant d’une besogne inférieure à une besogne supérieure, comprenant de mieux en mieux l’agencement de tout cet établissement, y participant, il ne demandera plus pourquoi il est ici et ne fera pas de reproches à son maître.

C’est ainsi que les hommes simples, les ouvriers, les ignorants, ceux que nous traitons comme des animaux, ne reprochent rien à leurs maîtres dont ils exécutent la volonté. Nous autres, les sages, au contraire, nous mangeons tout ce qui appartient au maître et nous ne faisons pas ce qu’il nous demande. Au lieu de cela, nous nous asseyons en rond et commençons à ergoter : « Pourquoi faut-il manier le morceau de bois ? C’est absurde ! » Et nous arrivons à la conclusion que le maître est stupide ou qu’il n’existe point, et que nous seuls sommes intelligents. Mais, en même temps, nous sentons que nous ne valons rien, et qu’il faut, d’une manière ou d’une autre, nous débarrasser de nous-mêmes.