Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol19.djvu/133

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J’essaye de m’éveiller ; je ne puis. Que faire, que faire ? me demandé-je, et je regarde en haut. Là haut c’est aussi l’abîme. Je regarde cet abîme céleste et m’efforce d’oublier l’autre. J’y parviens. L’infini d’en bas me repousse et m’horrifie ; l’infini d’en haut m’attire et me réconforte. Je reste suspendu au-dessus de l’abîme, sur la dernière sangle. Je le sais, mais je ne regarde qu’en haut, et ma peur disparaît. Comme il arrive souvent dans les rêves, une voix quelconque me dit : Fais attention. C’est cela ! Je plonge mon regard de plus en plus loin dans l’infini d’en haut, et me sens devenir calme. Je me rappelle tout ce qui était ; je me souviens comment tout est arrivé : comment j’ai remué les pieds, comment je fus suspendu, comment je fus terrifié, et comment j’ai échappé à l’horreur en regardant au-dessus de ma tête. Et je me demande : Eh bien ! Maintenant, pourquoi suis-je suspendu de la même façon ? Ce n’est pas que je regarde autour de moi, mais je sens de tout mon corps ce point d’appui sur lequel je me tiens. Et je vois que je ne suis plus suspendu, que je ne tombe pas, mais que je me tiens solidement. Je me demande comment je me tiens, je me tâte, je regarde alentour, et je vois qu’il y a sous moi, juste au milieu de mon corps, une sangle, et qu’en regardant en haut, je me trouve couché sur elle dans l’équilibre le plus stable, et que ce n’était qu’elle seule qui me tenait auparavant.