Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol2.djvu/102

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de nous regarder l’un l’autre dans les yeux.

Le souvenir de la querelle avec Kolpikov qui, cependant, ni le lendemain ni plus tard, ne me donna de ses nouvelles, fut pour moi pendant plusieurs années très vif et très pénible. J’avais des spasmes et je criais, plus de cinq ans après, quand je me remémorais l’outrage non vengé ; mais pour me consoler je me rappelais avec plaisir comme je m’étais montré brave dans l’affaire de Doubkov. Beaucoup plus tard seulement, je commençai à me rappeler tout autrement cette histoire, avec un plaisir comique pour ma querelle avec Kolpikov, et avec regret pour l’offense imméritée que j’avais infligée à ce brave garçon, Doubkov.

Quand, le soir même, je racontai à Dmitri mon aventure avec Kolpikov, dont je lui fis le portrait, il fut très étonné.

— Oui, c’est bien lui — fit-il. — Imagine-toi que ce Kolpikov est une canaille très connue, un grec, et principalement un poltron. Ses camarades l’ont fait chasser de l’armée parce qu’il avait reçu un soufflet et ne voulait pas se battre. Où a-t-il pris de l’audace ? — ajouta-t-il en me regardant avec son bon sourire. — Il n’a rien dit de plus que mal élevé ?

— Non, répondis-je en rougissant.

— Ce n’est pas bien, mais encore ce n’est pas grave — me consolait Dmitri.

Seulement longtemps après, en réfléchissant