Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol2.djvu/220

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il revint avec des habits neufs et dans une voiture. Mais malgré la prospérité des affaires, il continua la même vie stoïque, dont il semblait fier devant les siens et devant les étrangers, et souvent en bégayant, il disait : « Celui qui désire vraiment me voir, sera content de me voir dans une demi-pelisse, et mangera mon tshi[1] et mon gruau. Je le mange bien, moi ! » — ajoutait-il. Chacune de ses paroles, chacun de ses mouvements décelait l’orgueil de s’être sacrifié pour sa mère, d’avoir sauvé le domaine, et le mépris pour les autres parce qu’ils n’avaient rien fait de semblable.

La mère et la fille étaient de caractères tout différents et en beaucoup de points tout à fait opposés. La mère était une femme des plus agréables, toujours également gaie en société. Tout ce qui était vraiment charmant, gai, la réjouissait. Même — trait de caractère qui ne se rencontre que chez les vieilles et très bonnes gens — elle avait, développé au plus haut degré, le privilège de se réjouir en voyant s’amuser la jeunesse. Sa fille Avdotia Vassilievna était au contraire de caractère sérieux ou plutôt indifférent, distrait et orgueilleux sans raison, ce qui est fréquent chez les filles belles non mariées. Quand elle voulait être gaie, sa gaîté était bizarre : tantôt elle se moquait d’elle même, tantôt de son interlocuteur, tantôt de tout le monde et cela, probablement, malgré elle. Souvent je m’é-

  1. Sorte de soupe aux choux.