Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol2.djvu/278

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voyaient telle que je l’ai vue, le soir quand elle reste à la maison, attendant après minuit que son mari rentre du club, vêtue d’une robe de chambre, ses cheveux dépeignés, marchant comme une ombre dans la chambre mal éclairée ? Tantôt elle s’approche du piano et joue avec une attention convulsive l’unique valse qu’elle sait, tantôt prenant un roman, elle en lit quelques lignes au milieu et le jette ; tantôt, pour ne pas éveiller le valet, elle va au buffet et prenant elle-même du concombre et du veau froid, elle mange debout, près de la porte du buffet ; tantôt de nouveau fatiguée, ennuyée, elle marche, sans aucun but, d’une chambre à l’autre. Mais ce qui nous séparait le plus d’elle, c’était le manque de compréhension qui s’exprimait par une sorte d’attention indulgente quand on lui parlait de choses incompréhensibles pour elle. Elle n’était pas coupable d’avoir pris l’habitude inconsciente de sourire un peu, en penchant la tête, quand on lui racontait des choses peu intéressantes pour elle (et excepté elle et son mari, rien ne l’intéressait). Mais ce sourire et cette inclinaison de la tête, souvent répétés, étaient insupportables. Sa gaieté, comme si elle se fût moquée d’elle-même et des autres, était aussi gauche et ne se communiquait à personne, sa sensibilité était trop doucereuse. Et principalement, elle n’avait pas honte de parler sans cesse et à chacun de son amour pour papa. Elle ne men-