Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol2.djvu/280

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respect déplacé qui blessait beaucoup papa. Cet hiver il joua beaucoup, et, à la fin, il fit de grosses pertes, et, comme toujours, ne voulant pas mêler sa vie de joueur à sa vie de père de famille, il cachait ses affaires à tous les siens. Avdotia Vassilievna, toujours se sacrifiant, parfois malade, et même enceinte à la fin de l’hiver, croyait de son devoir, vêtue de sa blouse grise, les cheveux défaits, d’aller en se balançant à la rencontre de papa, à quatre ou cinq heures du matin, quand lui, fatigué, honteux d’avoir beaucoup perdu, revenait du club après la huitième amende. Elle lui demandait distraitement s’il était heureux au jeu, et avec une attitude indulgente, en souriant et hochant la tête, elle écoutait quand il racontait ce qu’il faisait au club, et que pour la centième fois il lui demandait de ne jamais l’attendre. Mais, bien qu’elle ne s’intéressât nullement à la perte ou au gain, desquels cependant, grâce au train dont allait le jeu, dépendait toute la fortune de papa, de nouveau, chaque fois, elle le rencontrait la première, quand il revenait du club. À ces rencontres, cependant, outre sa passion du sacrifice d’elle-même elle était poussée encore par une jalousie secrète dont elle souffrait au plus haut degré. Personne au monde ne pouvait la convaincre que lorsque papa rentrait aussi tard, c’était du club qu’il venait et non de chez une maîtresse. Elle s’efforcait de lire sur le visage de papa ses secrets d’amour, et ne voyant rien, elle