Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol24.djvu/229

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de fiacre, les couturières, les prostituées, jusqu’aux riches marchands, aux ministres, et leurs femmes, tous endurent l’existence la plus pénible et la plus anormale sans pouvoir acquérir ce que chacun d’eux, selon la doctrine du monde, estime indispensable pour soi.

Cherchez parmi ces hommes, du gueux au riche, quelqu’un qui se contente de ce qu’il gagne pour se procurer tout ce qu’il juge indispensable selon la doctrine du monde, et vous verrez que vous n’en trouverez pas un sur mille. Chacun dépense toutes ses forces à vouloir acquérir ce qui lui est inutile mais qu’exige la doctrine du monde et dont la privation le rend malheureux. Et aussitôt qu’il a acquis ce que le monde exige, une autre exigence paraît, puis encore une autre, et ainsi dure sans fin ce travail de Sisyphe, qui détruit la vie des hommes. Prenez l’échelle des fortunes, depuis les individus qui peuvent dépenser par an trois cents roubles jusqu’à ceux qui en ont cinquante mille, et rarement vous trouverez quelqu’un qui ne s’épuise et ne ploie sous l’effort fait pour gagner quatre cents roubles s’il en a trois cents, cinq cents s’il en a quatre cents et ainsi de suite. Et il n’y a personne qui, possédant cinq cents roubles, adopte volontiers de vivre comme ceux qui en ont quatre cents. Si un homme s’y astreint, ce n’est pas pour se faciliter l’existence mais pour amasser de l’argent et le mettre en sûreté. Chacun, sans répit, s’emploie