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Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol26.djvu/253

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Les bals sont peut-être très gais. Mais comment cela s’est-il fait ? Quand nous voyons dans la société et parmi nous qu’il y a un homme qui n’a pas mangé ou qui a froid, nous avons honte d’être gais et nous ne pouvons être gais avant qu’il ne se soit rassasié et réchauffé ; on ne peut s’imaginer des hommes qui puissent s’amuser d’une gaîté qui fait souffrir les autres. La gaîté des méchants gamins qui torturent un chien et s’en amusent nous dégoûte, et nous ne pouvons la comprendre. Comment donc ici, dans nos amusements, un tel aveuglement est-il tombé sur nous que nous ne voyons pas cet instrument de torture avec quoi nous martyrisons tous ces gens qui souffrent pour notre plaisir ?

Toute femme qui est venue à ce bal en robe de cent cinquante roubles n’est pas née au bal ou chez madame Minangoit[1], mais elle a vécu à la campagne, elle a vu des paysans, elle connaît sa vieille bonne et sa femme de chambre qui ont des pères et des frères pauvres, pour qui gagner cent cinquante roubles afin de construire une izba est le but d’une longue vie de travail. Elle le sait, comment donc peut-elle s’amuser, lorsqu’à ce bal elle porte sur son corps dénudé le prix de cette izba qui est le rêve du père ou du frère de sa bonne ? Supposons qu’elle ne puisse pas faire cette consi-

  1. Couturière très connue de Moscou (N. d. T.).