Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol26.djvu/433

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nous tenons à peine dans notre petite barque sur la mer houleuse qui bientôt nous engloutira dans sa colère et nous dévorera. Non seulement la révolution ouvrière avec les horreurs des destructions et des meurtres, nous menace, mais nous vivons sur elle depuis déjà trente ans et en attendant, tant bien que mal, par diverses ruses, nous ajournons provisoirement son explosion. Telle est la situation en Europe, telle est la situation chez nous.

Et chez nous c’est encore pire parce qu’il n’y a pas de soupape de sûreté. Les classes qui oppriment le peuple n’ont maintenant, sauf le tzar, aux yeux de notre peuple aucune justification, elles ne se maintiennent dans leur situation que par la violence, par la ruse, par l’opportunisme, c’est-à-dire par habileté, mais la haine des pires représentants du peuple et le mépris des meilleurs, pour nous, croissent chaque heure.

Dans notre peuple, ces trois ou quatre dernières années, un nouveau mot, très important, est devenu général ; je ne l’avais jamais entendu formuler auparavant. On nous invective maintenant dans la rue ; on nous appelle : « fainéants. »

La haine et le mépris du peuple écrasé croissent ; la force physique et morale des classes riches s’affaiblissent. La tromperie, par laquelle tout se soutient, s’use, et les classes riches ne peuvent déjà plus se consoler par rien de ce danger mortel.