Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol26.djvu/59

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pensaient, une œuvre utile à la science, et, incidemment, ils faisaient quelques observations. Mais moi, j’étais le bienfaiteur, je venais pour aider les malheureux hommes perdus, dépravés que j’avais cru rencontrer dans cette maison. Et tout à coup, au lieu des malheureux, perdus, dépravés, je voyais une majorité de travailleurs calmes, contents, gais, affables et très bons.

Je sentais cela avec une vivacité particulière quand je rencontrais dans ces logis la misère la plus criante que je me préparais à secourir. Quand je rencontrais cette misère, je voyais toujours qu’elle était déjà secourue, que cette aide que je voulais apporter était déjà rendue. Cette aide était apportée avant moi et par qui ? Par ces mêmes créatures, les plus malheureuses, dépravées, que je me préparais à sauver : et le secours était donné comme je ne pouvais le faire.

Dans un sous-sol se trouvait un vieillard atteint du typhus. Il vivait seul. Une femme veuve (avec une fillette) étrangère à lui, mais sa voisine de chambre, était là pour le soigner, lui faisait boire du thé, de son propre argent achetait les remèdes. Ailleurs une femme était atteinte d’une fièvre puerpuérale ; une femme vivant de prostitution berçait l’enfant, lui préparait le biberon, et, deux jours durant, ne sortit pas pour faire son métier. La fillette qui resta orpheline fut prise dans la famille d’un tailleur qui avait déjà trois enfants.