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Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol36.djvu/310

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m’ont congédiée. Mais à quoi bon… Je ne me souviens plus de rien… J’ai tout oublié. C’est bien fini.

— Non, cela n’est pas fini. Je ne saurais m’y résoudre. Je veux du moins, à présent, racheter ma faute.

— Il n’y a rien à racheter ; ce qui est fait est fait et passé, — reprit-elle ; et, à sa grande surprise, elle le regarda tout à coup avec un sourire séducteur et navré.

Maslova n’avait point songé le revoir jamais, surtout à ce moment et en cet endroit, c’est pourquoi sa vue l’avait surprise d’abord, puis lui avait remémoré des choses oubliées à jamais.

Au premier moment, en le revoyant, elle s’était vaguement rappelé le monde merveilleux de sentiments et de pensées, révélé jadis par le charmant adolescent qui l’avait aimée et qu’elle-même avait aimé ; puis elle s’était rappelé son incompréhensible cruauté, la longue série d’humiliations et de souffrances après ces moments enchantés. Mais cela la faisait trop souffrir, et, ne se sentant pas assez de forces pour s’y arrêter, elle eut recours au moyen déjà employé. Elle refoulait ces souvenirs et tâchait de les noyer dans les ténèbres de sa vie de débauche. C’est ce qu’elle venait de faire une fois de plus. En le revoyant, au premier moment, elle l’avait identifié avec l’adolescent jadis aimé ; mais cela lui étant trop pénible, elle y avait renoncé. Et alors, ce monsieur élégamment vêtu,