Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol37.djvu/10

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Avant tout, Nekhludov commença par Kouzminskoié, celle de ses propriétés la plus proche, très vaste, en terres noires et d’où il tirait son principal revenu. Il avait passé là son enfance et sa jeunesse, puis, déjà adulte, y était revenu deux fois, et enfin une dernière fois, à la demande de sa mère, pour y installer un intendant allemand, avec lequel il avait fait l’inventaire de la propriété. Il connaissait donc bien l’état de ce domaine, ainsi que la situation des paysans envers la gérance, c’est-à-dire envers le propriétaire. Or cette situation se résumait en un asservissement complet des paysans à la gérance. Nekhludov savait déjà tout cela depuis l’Université, quand il professait et admirait la doctrine de George, au nom de laquelle il avait abandonné aux paysans la terre qui lui venait de son père. Il est vrai qu’après avoir quitté l’armée et pris l’habitude de dépenser vingt mille roubles par an, ces théories ayant cessé pour lui d’être obligatoires, il les avait complètement oubliées ; et non seulement il ne se demandait jamais d’où venait l’argent que lui donnait sa mère, mais il s’efforçait même de n’y pas penser. Cependant la mort de sa mère, la succession, et la nécessité de disposer lui-même de ses biens, c’est-à-dire de la terre, l’avaient replacé en face de la question de la propriété foncière. Un mois auparavant, il ne se serait point senti la force de modifier l’état de choses