Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol37.djvu/28

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jeune fille, pieds nus, en chemise brodée, passa très vite devant la fenêtre, puis, derrière elle, un paysan frappant le sol de ses grosses bottes.

Nekhludov s’assit près de la fenêtre et se mit à regarder et à écouter. L’air frais du printemps, qui soulevait ses cheveux sur son front en sueur et le papier posé sur l’appui tailladé de la fenêtre, lui apportait une odeur saine de terre fraîchement remuée. Sur la rivière : « tra-pa-tap, tra-pa-tap », on entendait le bruit cadencé des battoirs frappant le linge, et ces sons se répandaient sur la nappe d’eau ; de l’écluse, brillant au soleil, on entendait encore, dans le moulin, la chute régulière de l’eau ; et en même temps, avec un bourdonnement effrayé, une mouche passa près de son oreille.

Et Nekhludov se rappela avoir entendu jadis, ici même, quand il était encore jeune et innocent, ce bruit des battoirs sur le linge mouillé et cette chute régulière de l’écluse ; il se rappela qu’une brise printanière soulevait ainsi ses cheveux sur son front moite, et les feuilles de papier sur l’appui tailladé de la fenêtre, et qu’une mouche était passée auprès de son oreille ; et, non seulement il se rappelait le garçon de dix-huit ans qu’il était alors, mais il se sentait le même, avec la même fraîcheur, la même pureté, apte à accomplir les plus belles choses ; mais en même temps, comme dans un rêve, il sentait que cela n’était plus, et il devint très triste.