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Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol37.djvu/406

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forme indéfiniment, — l’engrais en grain, le grain en poule, le têtard en grenouille, la chenille en papillon, le gland en chêne, — de même l’homme ne disparaît pas et ne fait que changer de vie. Il croyait cela fermement ; et de là venait qu’il regardait toujours la mort sans crainte et même avec bonne humeur, et supportait fermement les souffrances qui y menaient, mais il n’aimait ni ne voulait en parler. Il aimait à travailler, toujours s’occupait de choses pratiques et poussait ses camarades à faire de même.

L’autre prisonnier politique sorti du peuple, faisant partie du même convoi, Markel Kondratiev, était un homme d’un autre caractère. Entré dans une fabrique dès l’âge de quinze ans, il s’était mis à fumer et à boire pour étouffer un vague sentiment d’offense. Ce sentiment il l’avait éprouvé pour la première fois un jour de Noël, à une fête organisée pour les enfants des ouvriers par la femme du fabricant ; comme ses camarades il avait reçu un mirliton d’un kopek, une pomme, une noix dorée, une figue, tandis qu’on avait donné aux enfants du fabricant des jouets qui lui parurent dons de fée et qui, il l’avait su plus tard, avaient coûté plus de cinquante roubles. Il avait environ trente ans, lorsqu’une révolutionnaire célèbre s’était engagée comme ouvrière à la fabrique, et, remarquant les capacités de Kondratiev, lui avait donné des livres et des bro-