Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol4.djvu/125

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Salut Votre Seigneurie ! — prononça-t-il d’une même basse saccadée.

— Où est maintenant le régiment ?

— Nous étions à Sébastopol. On devait s’en aller mercredi, Votre Seigneurie.

— Où ?

— C’est inconnu… Probablement à Severnaia, Votre Seigneurie ! Maintenant, Votre Seigneurie, — ajouta-t-il d’une voix lente et en mettant son bonnet, — il commençait à tirer sans s’arrêter, surtout avec des bombes. Ils atteignent jusqu’à la baie… et ils tirent tant, que c’est affreux !…

On n’entendait plus ce que disait le soldat, mais à l’expression de son visage et de son attitude, on voyait qu’avec une certaine colère d’homme qui souffre, il disait des choses peu consolantes.

L’officier qui voyageait, le lieutenant Kozeltzov, était un officier hors ligne. Il n’était pas de ceux qui règlent leur vie et leurs actes sur la vie et les actes des autres : il faisait ce qu’il voulait et les autres déjà faisaient de même, convaincus que c’était bien. Sa nature était assez riche en petits talents : il chantait assez bien, jouait de la guitare, était beau parleur, écrivait très facilement, surtout les papiers administratifs à quoi il s’était occupé, étant aide de camp du bataillon. Mais sa nature était surtout remarquable par l’énergie de l’amour-propre qui, bien que fondé surtout parce qu’il se sentait doué, était en soi-même très fort et très re-