Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol4.djvu/23

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topol au lieu même de la défense, ou mieux, entrez directement dans cette maison d’en face, autrefois le club de Sébastopol, et dont le perron est maintenant encombré de soldats avec des brancards, entrez, et vous verrez là les défenseurs de Sébastopol. Vous y verrez un spectacle affreux et triste, sublime et comique, mais remarquable et qui élève l’âme.

Vous entrez dans la grande salle des assemblées. Aussitôt que vous avez ouvert la porte, l’aspect et l’odeur de quarante ou cinquante malades, amputés ou très grièvement blessés, quelques-uns sur des lits de camp, la plupart sur le sol, vous frappent du coup. N’obéissez pas au sentiment qui vous arrête sur le seuil de la salle, il est mauvais, allez en avant, n’ayez pas honte de votre air d’être venu ici pour regarder ceux qui souffrent ; n’ayez pas honte de vous approcher et de leur parler : les malheureux aiment à voir un visage humain, compatissant, ils aiment à raconter leurs souffrances et à entendre des paroles affectueuses et pitoyables. Vous passez au milieu des lits et vous cherchez un visage moins sévère et moins souffrant duquel vous vous décidez à approcher pour causer.

— Où es-tu blessé ? — demandez-vous en hésitant et timidement à un vieux soldat amaigri qui, assis sur son lit, vous suit d’un regard bonasse et vous invite à vous approcher de lui. Je dis que