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Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol4.djvu/253

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— Mais, sans doute. Je vous ai reconnu tout de suite, — dit-il en français, — En 48, j’avais le plaisir de vous rencontrer assez souvent à Moscou, chez madame Ivachina, ma sœur.

Je m’excusai de ne l’avoir pas reconnu plus tôt dans ce costume nouveau. Il se leva, s’approcha de moi, et de sa main humide, irrésolument, timidement il serra la mienne et s’assit près de moi. Au lieu de me regarder, lui qui, soi-disant, était si heureux de me voir, il se tourna vers les officiers avec une expression de vantardise désagréable. Peut-être par ce fait que j’avais reconnu en lui un homme que j’avais vu quelques années avant en frac dans un salon, ou parce que ces souvenirs le grandissaient soudain dans sa propre opinion, il me parut que son visage et même ses mouvements étaient tout à fait différents : ils exprimaient maintenant la vivacité d’esprit, la satisfaction enfantine de la conscience de cet esprit, et une certaine négligence méprisante, si bien que, je l’avoue, malgré la situation misérable où il se trouvait, mon ancienne connaissance ne m’inspirait déjà plus de pitié, mais un sentiment plutôt désagréable.

Je me rappelai vivement notre première rencontre, En l’année 48, souvent, pendant mon séjour à Moscou, j’allais chez Ivachine, avec qui j’avais été élevé, et qui était pour moi un vieil ami. Sa femme était une agréable maîtresse de