Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol4.djvu/264

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presque tout à fait seul, et que ne pensai-je pas alors ! Mais, savez-vous, quand tout cela s’est terminé, le lien qui m’unissait au passé semblait déjà définitivement tranché, et je fus soulagé. Mon père, vous en avez entendu parler assurément, était un homme d’un caractère de fer, aux convictions fermes, il m’a déshérité et cessa toute relation avec moi. Selon ses convictions, il devait agir ainsi et je ne l’accuse nullement : il a été conséquent. Aussi n’ai-je pas fait un pas pour le faire revenir sur sa décision. Ma sœur était à l’étranger, madame D***, seule m’écrivait quand elle le pouvait et me proposait son aide. Mais vous comprenez que j’ai refusé, de sorte que je manquais même de ces choses qui aident un peu dans cette situation, vous savez : les livres, le linge, la nourriture ; je n’avais rien.

Je réfléchis beaucoup et beaucoup pendant ce temps, je commençai à tout regarder avec d’autres yeux. Par exemple, ce bruit, ces racontars du monde dont j’étais l’objet à Pétersbourg, ne m’intéressaient pas, ne me flattaient nullement, tout cela me semblait ridicule. Je me sentais moi-même coupable, imprudent, jeune. J’avais gâché ma carrière et ne pensais qu’à m’en refaire une. Et pour cela, je sentais en moi des forces et de l’énergie. Après les arrêts, comme je vous l’ai dit, on m’a envoyé ici, au Caucase, dans le régiment de N….

— J’ai pensé, — continua-t-il en s’animant de plus en plus, — qu’ici, au Caucase, la vie de camp,