Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol4.djvu/27

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— Ça brûle dans le cœur ?

Un peu plus loin, vous voyez un vieux soldat qui change de linge. Son visage et son corps sont bruns, maigres, squelettiques ; un bras lui manque tout à fait, il est désarticulé à l’épaule. Il est assis bravement et s’arrange, mais à son regard mort, vitreux, à sa maigreur effrayante et aux rides de son visage, vous voyez que c’est un être qui a déjà souffert presque toute sa vie.

De l’autre côté vous apercevez sur un lit de camp le visage souffrant, pâle et doux d’une femme dont les joues sont colorées d’une rougeur fiévreuse.

— C’est la femme d’un de nos matelots. Le 5 de ce mois un obus lui atteignit la jambe, vous dit votre guide. — Elle allait au bastion porter à souper à son mari.

— Lui a-t-on coupé la jambe ?

— Oui, au-dessus du genou.

Maintenant, si vos nerfs sont assez forts, franchissez la porte de gauche, dans cette salle, on fait les pansements et les opérations. Vous verrez là les docteurs, les bras couverts de sang jusqu’aux coudes, le visage pâle, sombre, occupés près du lit de camp, où gît un blessé, qui, les yeux ouverts, sous l’influence du chloroforme, prononce des mots insensés ou parfois simples et touchants. Les docteurs sont occupés à la besogne répugnante mais bienfaisante de l’amputation. Vous verrez l’acier tranchant, recourbé, entrer dans le corps