Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol4.djvu/34

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Malgré cette voix lâche en face du danger qui, spontanément, commence à parler en vous, en regardant le soldat, qui, en agitant les bras dégringole la pente de boue glissante et en riant court au galop devant vous, vous faites taire cette voix ; involontairement vous dressez votre poitrine, levez haut la tête et grimpez la montagne glissante. Dès que vous êtes monté un peu, à droite et à gauche sifflent les balles et vous pensez qu’il vaudrait peut-être mieux pour vous suivre la tranchée parallèle à la route. Mais cette tranchée est pleine, jusqu’à la hauteur des genoux, d’une boue si liquide, jaune et puante, que vous choisissez certainement la route de la colline, d’autant plus qu’à vos yeux tous suivent ce chemin. Après avoir fait deux cents pas, vous vous trouvez dans un espace exhaussé, sale, entouré de tous côtés de tours, de monticules, de tranchées, de plates-formes, de huttes où se trouvent de gros canons de bronze et où, en groupes réguliers, sont disposés les obus.

Tout cela vous semble réuni sans aucun but, sans lien ni ordre. Ici sur la batterie un groupe de matelots est assis, là au milieu de la place, enfoncé jusqu’à moitié dans la boue, gît un canon brisé, un peu plus loin, un fantassin, armé d’un fusil traverse les batteries et avec peine dégage ses pieds de la boue collante. Mais partout, de tous côtés et dans tous les endroits vous voyez des tessons,