Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol4.djvu/36

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sur la batterie — esplanade creusée de trous, entourée de gabions couverts de terre, de canons sur les plates-formes et de remparts en terre. Ici, vous verrez peut-être cinq matelots jouant aux cartes sous le parapet et un officier de marine qui, en remarquant que vous êtes un nouveau, un curieux, vous montrera avec plaisir son installation et tout ce qui peut vous intéresser. Cet officier roule si tranquillement sa cigarette de papier jaune en s’asseyant sur la pièce, il se promène si tranquillement d’une embrasure à l’autre, il vous parle avec tant de calme, sans la moindre affectation, qu’en dépit des balles qui bourdonnent autour de vous de plus en plus fréquemment, vous-même devenez calme, interrogez et écoutez attentivement les récits de l’officier. Cet officier vous racontera — sans que vous ayez à l’interroger — le bombardement du 5. Il vous racontera qu’à sa batterie un seul canon fonctionnait, qu’il ne restait de servants que huit hommes, mais que, néanmoins, le lendemain matin, le 6, ils ont tiré de tous les canons. Il vous racontera que le 5, une bombe est tombée sur un abri de matelots et a tué net onze personnes. Il vous montrera, de l’embrasure, les batteries et les tranchées de l’ennemi qui sont à une distance de trente à quarante sagènes[1] d’ici. J’ai peur d’une seule chose : que sous l’influence du bourdonnement des balles, en vous penchant en

  1. La sagène égale 2 m, 134 mm.