Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol4.djvu/413

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mais ce qui permet aux hommes de les produire.

Le seul mot d’un homme qui, par curiosité, demande de pendre quelqu’un, à quoi un autre répond : « Bon, pendez-le si vous voulez[1] », ce seul mot est plein de morts et de souffrances humaines. Cette parole, insérée et lue, porte en soi la mort et les souffrances de millions d’êtres. Il faut diminuer non les souffrances, les mutilations, la mort corporelle, mais les blessures et la mort spirituelles. Pour détruire le mensonge et la tromperie, ce n’est pas la Croix-Rouge qui est nécessaire, mais la simple croix du Christ.

J’achevais cette préface quand est venu chez moi un jeune homme de l’école des aspirants. Il m’a dit qu’il était tourmenté par le doute religieux. Il avait lu le Grand inquisiteur de Dostoïevski, et le doute l’avait empoigné. Pourquoi Christ a-t-il propagé une doctrine si difficile à réaliser ? Il n’avait rien lu de moi. Je lui glissai avec prudence qu’il faut lire l’évangile et qu’on y trouve les réponses aux questions de la vie. Il écoutait et acceptait. Avant la fin de la conversation, je causai avec lui du vin et lui conseillai de n’en pas boire. Il me dit : « Mais au service militaire c’est parfois nécessaire. » J’ai pensé qu’il parlait de la nécessité du vin pour la santé, pour les forces et je m’apprêtais à le contredire victorieusement par les preuves expérimentales

  1. Paroles d’un général russe. (Journal du peintre Vereschagin.)