Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol4.djvu/65

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— Donne au prince, dit Kalouguine.

— C’est étrange de penser, — dit Galtzine en prenant le verre et s’éloignant vers la fenêtre, — que nous sommes ici dans une ville assiégée : le piano, le thé à la crème et un appartement tel, que vraiment j’en voudrais avoir un semblable à Pétersbourg.

— Mais si nous n’avions pas cela, — dit le vieux lieutenant-colonel, toujours mécontent de tout, — ce serait tout simplement insupportable, cette attente perpétuelle de quelque chose, voir comment chaque jour on tue, on tue, et jamais la fin. Si avec cela il fallait vivre dans la boue, si l’on n’avait pas de commodités…

— Et comment font nos officiers d’infanterie, qui vivent sur les bastions avec les soldats, dans le blindage, et mangent la soupe des soldats ? Comment font-ils ? — dit Kalouguine.

— Comment font-ils ? Il est vrai que pendant dix jours ils n’ont pas changé de linge, mais ce sont des héros, des hommes admirables.

À ce moment, un officier d’infanterie entra dans la chambre :

— Moi… j’ai reçu l’ordre… pourrais-je voir le général… Son Excellence, de la part du général N… ? — demanda-t-il, confus.

Kalouguine se leva ; mais, sans répondre au salut de l’officier, avec une politesse blessante et un sourire officiel, très tendu, il demanda à l’officier de vouloir bien attendre, et, sans le prier de s’as-