Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol5.djvu/15

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Chaque soir il joue avec le prince une partie de cinquante roubles, et maintenant il vient de perdre une bouteille de Mâcon et se met hors de soi. Bah ! C’est un caractère comme ça ! Il arrive parfois qu’il joue avec le prince jusqu’à deux heures, ils ne mettent pas d’argent dans la blouse, et je sais déjà qu’il n’y a d’argent ni chez l’un, ni chez l’autre, mais comme ça ils jettent la poudre aux yeux, et avec des airs sérieux :

— Ça va-t-il, doublons jusqu’à 250 ?

— Ça va.

Et si j’ai le malheur de bâiller, ou si je ne mets pas la bille comme il faut, — dame, l’homme n’est pas de fer ! — alors il faut entendre :

— On ne joue pas à la craie, mais à l’argent !

Celui-ci m’en veut plus que tous les autres.

Eh bien ! Voilà que tout à coup, dès que le grand s’en fut allé, le prince dit au nouveau venu :

— Ne voulez-vous pas jouer une partie avec moi ?

— Avec plaisir, — dit-il.

Il était assis si majestueusement qu’il paraissait très fier, mais quand il se leva et s’approcha du billard, il devint timide, — pas précisément timide, mais on voyait qu’il n’avait plus l’esprit tranquille. Était-il gêné dans son habit neuf ou craignait-il que tout le monde le regardât ? Sûrement il n’avait plus le même aplomb. Il marcha d’une façon étrange, de côté, accrocha les