Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol5.djvu/168

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je distinguais clairement les accords graves, lointains… tremblant doucement dans l’air du soir, de la guitare et de quelques voix qui, en s’interrompant l’une l’autre, ne chantaient pas des motifs, mais à certains moments, soulignaient les passages les plus marquants.

Le thème était quelque chose comme une mazurka charmante et gracieuse. Les voix semblaient tantôt proches, tantôt lointaines ; tantôt on entendait un ténor, tantôt une basse, tantôt une voix de gorge avec des roulades tyroliennes. Ce n’était pas une chanson, mais une esquisse légère, artistique de la chanson. Je ne pouvais comprendre ce que c’était, mais c’était beau. Les accords passionnés, doux de la guitare, cette mélodie délicieuse, légère et cette petite figure isolée d’un petit homme noir parmi les décors fantastiques du lac sombre, de la lune voilée, des deux énormes flèches des tours qui se haussaient, silencieuses, et des cythises noirs du jardin, tout était étrange mais indiciblement beau ou me semblait tel.

Toutes les impressions confuses de la vie, tout à coup, prirent pour moi un sens et un charme particuliers. Dans mon âme, une fleur fraîche, parfumée, parut s’épanouir. Au lieu de la fatigue, de la distraction, de l’indifférence pour tout au monde que j’éprouvais un moment avant, je sentais tout à coup le besoin de l’amour, le plaisir de l’espoir, la joie irraisonnée de vivre. « Que vouloir,