Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol5.djvu/290

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

peine ». J’ai su après que le chef de police du district avait fait appeler nos paysans et que, comme il était mal avec mon mari, il exigeait d’eux des choses illégales et les menaçait. Mon mari ne pouvait se contenter de penser que c’était seulement ridicule et pitoyable, il était agacé, et c’est pourquoi il ne voulait pas en causer avec moi. Mais il me sembla qu’il ne le voulait pas parce qu’il me considérait comme une enfant incapable de comprendre ce qui l’occupait. Je me détournai de lui ; je me tus et donnai l’ordre d’appeler pour le thé Maria Minitchna, qui habitait chez nous. Après le thé, que je pris particulièrement vite, j’emmenai Maria Minitchna au divan et commençai à lui dire à haute voix des bêtises quelconques qui n’étaient pas du tout intéressantes pour moi. Il marchait dans la chambre et nous regardait de temps en temps. Ces regards, je ne sais pourquoi, agissaient sur moi de telle façon que je voulais parler encore et encore et même rire. Tout ce que je disais et tout ce que disait Maria Minitchna me semblait drôle. Sans me dire un mot, il s’en alla dans son cabinet et ferma la porte derrière lui. Aussitôt qu’eut disparu le bruit de ses pas, toute ma gaîté s’envola, si bien que Maria Minitchna, étonnée, me demanda ce qui m’était arrivé. Sans lui répondre, je m’assis sur le divan et voulais pleurer. « Eh ! qu’invente-t-il là-bas ? pensais-je, une bêtise quelconque qui lui semble importante, et s’il essaye de me la dire, je