Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol5.djvu/88

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nous ramenaient à demi-gelés dans un village inconnu, lointain, et si même quelques-uns d’entre nous étaient tout à fait gelés. Et dans ce sens, des rêves, avec une clarté et une rapidité extraordinaires, se présentaient à moi.

Les chevaux s’arrêtent, la neige s’amoncelle de plus en plus, et des chevaux on ne voit que l’arc et les oreilles, mais tout à coup paraît en haut Ignachka avec sa troïka, il passe devant nous. Nous le supplions qu’il nous prenne, mais le vent emporte nos voix ; il n’y a pas de voix. Ignachka se moque de nous, crie après les chevaux, siffle et disparaît dans un ravin profond rempli de neige. Le petit vieux saute sur le cheval, agite ses coudes, veut s’enfuir mais ne peut se mouvoir de sa place. L’ancien postillon, au grand bonnet, se jette sur lui, le traîne à terre et le piétine dans la neige. « Tu es le sorcier ! » — crie-t-il. — « Tu es un insulteur ! Nous nous égarerons ensemble. » Mais le petit vieux enferme sa tête dans la neige, et ce n’est pas tant un petit vieux qu’un lapin, et il bondit loin de nous. Tous les chiens courent après lui. Le conseilleur qui est Féodor Philippitch ordonne que tous s’asseoient en cercle, que ce n’est rien si nous sommes enveloppés de neige, car nous aurons chaud. En effet nous avons chaud, nous sommes à l’aise, on a seulement une terrible soif. Je prends ma trousse, je régale tout le monde de rhum et de sucre et je bois moi-même avec un