Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol6.djvu/162

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cheval, et, soulevant la guide, en frappa un coup vigoureux sur la patte maigre, puis, sans mot dire, alla vers le petit tertre, près du tronc où il avait l’habitude de se reposer. Bien que cet acte attristât le hongre pie, il n’en laissa rien voir et, en agitant la queue qui perdait son crin et en flairant quelque chose, il se dirigea vers la rivière, sans prêter aucune attention à ce que faisaient autour de lui les jeunes juments, les étalons et les poulains, si gais le matin. Sachant que le plus sain, surtout à son âge, c’était de bien boire et de manger ensuite, il choisit un endroit du bord où la pente était plus douce et plus large, et, en mouillant ses sabots et le fanon, il plongea son mufle dans l’eau, se mit à aspirer l’eau à travers ses lèvres déchirées, en remuant ses côtes qui se gonflaient, et, de plaisir, agitait sa queue maigre, dégarnie au bout.

La jument grise, la dévergondée qui agaçait toujours le vieux et lui faisait toutes sortes de misères, s’approcha de l’eau, près de lui, comme si elle en avait besoin, mais en réalité pour lui salir l’eau devant le nez. Mais le hongre avait déjà bu ; comme s’il ne s’apercevait pas des intentions de la jument grise, il tira tranquillement une patte après l’autre, secoua la tête, et, en s’éloignant de la jeunesse, il se mit à manger. Les jambes écartées de diverses manières, sans piétiner l’herbe inutilement, presque sans se redresser, il mangea