Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol6.djvu/170

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les têtes des unes sur le dos des autres, se flairaient, sautaient, parfois soulevaient la queue toute droite et, ni trot, ni galop, avec feinte et coquetterie, couraient devant les camarades. La plus belle de toute cette jeunesse, était une polissonne de jument baie. Tout ce qu’elle faisait, les autres le faisaient aussi. Où elle allait, la foule des autres allait aussi. La polissonne était, ce matin, d’humeur particulièrement gaie. L’humeur gaie l’avait empoignée comme elle empoigne les hommes. Encore en buvant, en plaisantant sur le vieux, elle avait couru le long de la rivière ; feignant de s’effrayer de quelque chose, elle reniflait, puis galopait à toutes jambes par la prairie, si bien que Vaska devait courir après elle et les autres qui la suivaient. Ensuite, quand elle eut un peu mangé elle se mit à se rouler, à agacer les vieilles en les devançant, puis ayant séparé un poulain de sa mère, elle se mit à courir après lui, comme pour le mordre. La mère, effrayée, cessa de manger, le poulain cria d’une voix plaintive, mais la polissonne ne le touchait pas, elle l’effrayait seulement et donnait le spectacle à ses compagnes qui regardaient avec sympathie ces taquineries. Ensuite, elle se mit à tourner la tête au cheval gris d’un paysan qui, de l’autre côté de la rivière, traînait la charrue dans un champ de blé. Elle s’arrêta fièrement, un peu de côté, dressa la tête, se secoua, hennit longuement d’une voix douce et tendre. Dans ce hennissement de la