Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol6.djvu/175

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particulièrement gaie, frappa le hongre en plein poitrail. De nouveau il montra les dents, poussa un cri, et, avec une vivacité qu’on ne pouvait attendre de lui, se jeta derrière elle et la mordit à la cuisse. La jument chauve frappa de tout son arrière-train les côtes maigres et nues du vieux cheval. Celui-ci renifla même, voulut se jeter de nouveau sur elle, mais il réfléchit, et, en soupirant lourdement, s’éloigna. Naturellement toute la jeunesse du troupeau prit comme une offense personnelle l’audace du hongre pie envers la jument chauve, et, tout le reste de la journée, on l’empêcha absolument de manger, on ne le laissa pas tranquille un moment, si bien que le palefrenier dût les calmer plusieurs fois, sans pouvoir comprendre ce qui se passait parmi eux.

Le hongre était si offensé qu’il s’approcha de lui-même de Nester, quand le vieux se prépara à ramener le troupeau à la maison, et il se sentit plus heureux et plus tranquille, lorsqu’après l’avoir sellé on monta sur lui.

Dieu sait à quoi pensait le vieux hongre en portant sur son dos le vieux Nester. Pensait-il avec amertume à la jeunesse ennuyeuse et cruelle ; ou, avec cette fierté, ce mépris et ce stoïcisme propres aux vieillards, pardonnait-il ces offenses ? Jusqu’à la maison il ne le montrait par aucune réflexion.

Ce soir-là, des amis étaient venus chez Nester, et, en chassant le troupeau devant les izbas des