Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol6.djvu/64

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— Pourquoi tu pousses ? glapit la sœur cadette d’une voix zézéyante et endormie.

— Je vous… ! — fit Akoulina, et les deux têtes disparurent sous le manteau.

— S’il donne trois roubles, dit Polikeï en bouchant la bouteille, je guérirai le cheval. C’est encore bon marché, ajouta-t-il. Va, casse-toi la tête ! Akoulina, va demander un peu de tabac chez Nikita. Je le rendrai demain.

Et Polikeï tira de la poche de son pantalon une pipe en tilleul, jadis peinte, avec de la cire en guise de tuyau, et se mit à la préparer.

Akoulina quitta son métier et sortit, sans s’accrocher nulle part, ce qui était très difficile. Polikeï ouvrit une petite armoire, y mit le flacon, et prit un litre vide qu’il porta à sa bouche, il n’y avait plus d’eau-de-vie. Il fronça les sourcils, mais lorsqu’avec le tabac que sa femme lui apporta, il eût bourré sa pipe, et qu’il la fuma assis au bord du lit, son visage brillait de la fierté joyeuse d’un homme qui a terminé son travail quotidien. Peut-être songeait-il comment il s’y prendrait le lendemain pour saisir la langue du cheval et lui verser dans la bouche la mixture étonnante, ou se disait-il « qu’on trouve un homme toujours bien, quand on a besoin de lui, et que somme toute Nikita avait quand même donné du tabac ». Il se sentait bien. Mais soudain, la porte, qui était suspendue sur un seul gond, s’ouvrit et dans le coin apparut une jeune fille d’en haut,