Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol6.djvu/76

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met, je parlerai une autre fois. En général, la foule était composée de paysans qui se tenaient dans l’assemblée comme à l’église, et causaient en chuchotant, de leurs affaires de famille, du moment d’aller dans la forêt couper du bois, ou attendaient en silence qu’on eût fini de hurler. Il y en avait aussi de riches auxquels l’assemblée ne pouvait rien ajouter ni diminuer de leur bien-être. Tel était Ermil avec son visage large, luisant, que les paysans appelaient le gros ventre, parce qu’il était riche. Tel était encore Starostine, dont la face suait l’assurance : « Vous aurez beau dire, personne ne me touchera. J’ai quatre fils, mais chez moi on ne prendra personne. » Les fortes têtes comme Kopilov et Riézoune l’attaquaient rarement et il leur répondait avec calme et fermeté, avec la conscience de son inviolabilité. Si Doutlov ressemblait à la poule dans le jeu du milan, ses garçons ne ressemblaient guère aux poussins. Ils ne s’agitaient pas, ne criaient pas, mais se tenaient calmes derrière lui. L’aîné, Ignate, avait déjà trente ans ; le second, Vassili, était aussi marié, mais pas bon pour l’enrôlement ; le troisième, Iluchka, le neveu, qui venait de se marier, était blanc, rose, portait un élégant touloupe (il était postillon). Il regardait la foule en se grattant parfois la nuque, sous le bonnet, comme s’il n’était pas en jeu ; et c’est lui, précisément, que les malins voulaient désigner.