Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol6.djvu/91

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fouetta Tambour et continua son chemin. Il fit de même à l’autre cabaret et vers midi il descendit de charrette, ouvrit la porte cochère de la maison du marchand où s’arrêtaient tous les serfs de la maîtresse, fit entrer son véhicule, détela le cheval et le mit au râtelier, puis il dîna avec les ouvriers du marchand, sans oublier de raconter le but de son voyage, et, avec la lettre dans le fond de son bonnet, il partit chez le jardinier. Le jardinier, qui connaissait Polikeï, après avoir lu la missive, l’interrogea, non sans un certain air de doute, afin d’être bien sûr qu’il avait l’ordre de rapporter l’argent. Ilitch voulait se fâcher, mais il ne le pouvait pas et sourit seulement. Le jardinier relut encore une fois la lettre et lui remit la somme. Dès que Polikeï eut reçu l’argent, il le mit dans son gousset et revint au logis du marchand. Ni les débits, ni les cabarets, rien ne le séduisait. Il éprouvait dans tout son être une nervosité agréable, il s’arrêtait plusieurs fois devant les boutiques de marchandises tentantes : bottes, armiak, bonnets, indienne et victuailles ; puis après une station, il s’éloignait avec un sentiment agréable : « Je pourrais tout acheter, mais voilà, je ne le ferai pas ». Il entra au bazar pour faire les emplettes dont on l’avait chargé. Il acheta tout et marchanda une pelisse de peau d’agneau pour laquelle on demandait vingt-cinq roubles. Le marchand, on ne sait pourquoi, sur la mine ne jugeait pas Polikeï à même d’acheter la pelisse.