Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol8.djvu/103

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et comment il avait reçu sa blessure. C’était agréable pour Rostov. Il commença à raconter, s’animant de plus en plus pendant le récit. Il leur narra son affaire de Schœngraben, tout à fait comme racontent ordinairement les acteurs d’une bataille, c’est-à-dire comme ils voudraient que c’eût été, comme ils l’ont entendu des autres narrateurs, de la façon la plus jolie au point de vue narratif, mais pas du tout conforme à la réalité. Rostov était un jeune homme très franc, pour rien au monde il n’aurait menti consciemment. Il commença son récit avec l’intention de raconter tout, tel que c’était, mais involontairement, inévitablement il tournait à l’invention. S’il eût raconté la vérité à ses auditeurs qui, comme lui-même, avaient déjà entendu plusieurs fois le récit de cette attaque et s’étaient fait une idée nette de ce qu’elle était, et attendaient de lui absolument le même récit, alors, ou c’est lui qu’ils n’auraient pas cru, ou, le pire, ils auraient pensé que Rostov était coupable s’il ne lui était pas arrivé ce qui arrive ordinairement aux narrateurs d’attaques de cavalerie. Il ne pouvait leur raconter tout simplement que tous étaient allés au trot, qu’il était tombé de cheval, qu’il s’était démis le bras, s’était enfui de toutes ses forces et s’était sauvé des Français dans une forêt. En outre, pour tout raconter selon la vérité, pour ne raconter que ce qui était, il fallait faire un effort sur soi. Raconter la vérité c’est très difficile et