Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol8.djvu/431

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que pour la première fois depuis son arrivée, le prince André s’animait, commençait à parler et voulait exprimer tout ce qui l’avait fait ce qu’il était maintenant.

— Et qui t’apprend ce qui est le mal pour un autre homme ? — demanda-t-il.

— Le mal ? Le mal ? Nous connaissons tous ce qui pour nous est le mal, — dit Pierre.

— Oui, nous le connaissons ; mais ce mal que je connais pour moi-même, je ne puis le faire à un autre homme, — dit le prince André s’animant visiblement de plus en plus et désirant exprimer à Pierre ses nouvelles idées sur les choses.

Il parlait en français.

Je ne connais, dans la vie, que deux maux bien réels : c’est le remords et la maladie. Il n’est de bien que l’absence de ces maux. Vivre pour soi, en évitant ces deux maux, voilà toute ma sagesse maintenant.

— Et l’amour du prochain et le sacrifice ? — se mit à dire Pierre. — Non, je ne puis être de votre avis. Vivre seulement pour ne pas faire de mal, pour ne pas se repentir, c’est peu. J’ai vécu ainsi, j’ai vécu pour moi et j’ai perdu ma vie. C’est seulement à présent, quand je vis, ou du moins, corrigea Pierre par modestie, quand je tâche de vivre pour les autres, que j’ai compris tout le bonheur de la vie. Non, je ne suis pas d’accord avec vous, et vous-même ne pensez pas ce que vous dites.