Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol8.djvu/59

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femmes la curiosité, la peur et même l’amour : la conscience méprisante de sa supériorité. Il semblait dire : « Je vous connais, je vous connais, et quel intérêt ai-je à m’entretenir avec vous ? Et vous en seriez heureuse ! » Peut-être ne pensait-il pas cela en face des femmes (et même très probablement il ne le pensait pas parce qu’en général, il pensait très peu), mais ses manières, son air semblaient le vouloir dire. La princesse le sentit, et comme si elle désirait lui montrer qu’elle n’avait pas pensé l’occuper, elle s’adressa au vieux prince. La conversation était générale et animée grâce à la voix de la petite princesse, à sa petite lèvre velue découvrant ses dents blanches. Elle aborda le prince Vassili avec cette façon de plaisanter dont usent souvent les personnes bavardes et gaies et qui consiste à supposer qu’entre quelqu’un et soi-même existent des plaisanteries établies depuis déjà longtemps, plaisanteries gaies, que tout le monde ne sait pas, et souvenirs amusants, tandis qu’en réalité il n’y a aucun souvenir pareil ; c’était le cas de la petite princesse et du prince Vassili.

Le prince Vassili se prêtait volontiers à ce ton. La petite princesse introduisait dans sa conversation des aventures amusantes qui n’étaient jamais arrivées, et Anatole, qu’elle connaissait à peine, partageait ainsi que mademoiselle Bourienne ces souvenirs communs ; la princesse Marie, elle-même, se sentit entraînée dans ces souvenirs joyeux.