Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol9.djvu/150

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— Je n’aurais pas cru celui qui m’aurait dit que je pouvais tant aimer. Ce n’est pas du tout le sentiment que j’ai éprouvé auparavant. Pour moi le monde est partagé en deux moitiés : elle, et là, le bonheur, l’espoir ; l’autre moitié, tout ce où elle n’est pas ; là-bas, la tristesse, l’obscurité, — dit le prince André.

— L’obscurité, les ténèbres, répéta Pierre, oui, je comprends.

— Je ne puis pas ne point aimer la lumière ; ce n’est pas ma faute, et je suis très heureux. Tu me comprends ? Je sais que tu partages ma joie.

— Oui, oui, affirma Pierre en fixant sur son ami des yeux attendris et tristes. Et plus le sort du prince André lui paraissait brillant, plus le sien lui semblait sombre.