Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol9.djvu/260

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— Comme c’est étrange ! C’était comme dans un rêve. J’aime cela.

— Te rappelles-tu, quand nous roulions des œufs dans la salle, et tout d’un coup, deux vieilles femmes arrivèrent et se mirent à se rouler sur le tapis. C’est arrivé ou non ? Rappelle-toi comme c’était bien.

— Oui, et tu te rappelles comme papa, en pelisse bleue, tirait du fusil sur le perron ?

Ils cherchaient, en souriant avec plaisir, non les souvenirs tristes, sombres, mais les souvenirs poétiques, enfantins, ces souvenirs du passé le plus lointain où la vision confine à la réalité ; et ils riaient doucement, avec une joie intime.

Bien que leurs souvenirs fussent communs, Sonia, comme toujours, restait en arrière d’eux.

Elle ne se rappelait plus beaucoup de choses, et même, ce dont elle se souvenait n’excitait plus en elle ce sentiment poétique qu’ils éprouvaient. Elle se réjouissait seulement de leur joie et tâchait de s’y accommoder.

Elle prit part à la conversation seulement quand ils évoquèrent la première arrivée de Sonia. Celle-ci racontait qu’elle avait peur de Nicolas parce que son petit veston avait des cordelières et que ses bonnes lui avaient dit qu’on l’attacherait avec des cordes.

— Moi, je me rappelle qu’on me disait que tu étais née dans un chou, dit Natacha, et je me sou-