Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol9.djvu/290

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situation de ses affaires qui exigeaient des mesures radicales. Il fallait vendre la maison de Moscou et le domaine voisin de cette ville, et pour la vente de la maison, il était nécessaire d’aller à Moscou : mais la santé de la comtesse faisait ajourner le départ.

Natacha, qui, au commencement supportait aisément et même gaîment la séparation avec son fiancé, devenait de jour en jour plus émue, plus impatiente. La pensée que son meilleur temps, qu’elle emploierait à l’aimer, se passait inutilement pour tout le monde, la tourmentait toujours. La plupart de ses lettres la fâchaient. Il lui était difficile de penser que tandis qu’elle ne vivait qu’en pensant à lui, lui vivait d’une vraie vie, voyait de nouveaux pays, de nouveaux hommes qui l’intéressaient. Plus ses lettres étaient intéressantes, plus elle avait de dépit, et les lettres qu’elle lui écrivait n’étaient pas pour elle une consolation, mais se présentaient comme un devoir ennuyeux et faux.

Elle n’aimait pas écrire parce qu’elle ne pouvait comprendre la possibilité d’exprimer franchement dans une lettre la millième partie de ce qu’elle était habituée d’exprimer par la voix, le sourire, le regard. Elle lui écrivait des lettres sèches, classiquement monotones auxquelles elle-même n’attachait aucune importance et dont, en brouillons, la comtesse lui corrigeait les fautes d’orthographe.