Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol9.djvu/295

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la place était toujours prête et inoccupée. Pour le monde de Moscou, Pierre était l’original le plus charmant, le meilleur, intelligent, gai, magnanime, distrait, généreux, un seigneur russe des vieilles générations. Sa bourse était toujours vide parce qu’elle était ouverte à tout le monde. Des bénéfices, des mauvais tableaux, des statues, des sociétés de bienfaisance, des tziganes, des écoles, des dîners en l’honneur de quelqu’un, des orgies, les maçons, les églises, les livres, personne et rien n’essuyait de refus, et sans deux de ses amis qui lui empruntaient beaucoup d’argent et l’avaient pris en tutelle, il eût donné tout ce qu’il avait. Au club il n’y avait pas un dîner, pas une soirée sans lui. Aussitôt qu’il s’installait à sa place sur le divan, après deux bouteilles de Margaux, on l’entourait et l’on commençait à discuter plaisamment, ou si l’on se fâchait, lui, par son seul sourire bon et agréable, faisait l’accord à propos. Les loges maçonniques étaient ennuyeuses et tristes quand il n’y était pas.

Quand, après un souper de célibataires, avec son sourire bon et doux, cédant aux désirs de la joyeuse compagnie, il se levait pour aller avec eux, un rire joyeux, triomphant, éclatait parmi les jeunes. Au bal, s’il manquait un cavalier, il dansait. Les jeunes femmes et les demoiselles l’aimaient parce que sans faire la cour à personne, il était également aimable avec tout le monde, surtout après souper.