Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol9.djvu/297

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Parfois il se consolait à la pensée qu’il ne menait cette vie qu’en attendant, mais ensuite une autre pensée l’horrifiait : combien de gens comme lui, en attendant, étaient entrés dans cette vie, dans ce club, ayant encore des cheveux et en étaient sortis déjà chauves !

Dans les moments d’orgueil, quand il réfléchissait à sa situation, il lui semblait être tout différent de ces chambellans en retraite qu’il méprisait auparavant, que ceux-ci étaient vulgaires et sots, contents et satisfaits de leur situation, « et moi, maintenant, je suis mécontent de tout ; toujours je désire faire quelque chose pour l’humanité, » se disait-il. « Et peut-être que tous mes compagnons cherchaient comme moi une route nouvelle, et comme moi, par la force du milieu, de la société, de la race, par cette force de l’élément contre quoi l’homme est impuissant sont-ils arrivés où je suis moi-même conduit ? » se disait-il aux heures de modestie ; et après avoir passé à Moscou quelque temps, il ne méprisait plus ses camarades et commençait à les aimer, à les respecter, à les plaindre comme soi-même.

Pierre n’avait plus comme auparavant des moments de désespoir, d’hypocondrie et de dégoût de la vie, mais la maladie qui se manifestait auparavant par des accès de fureur était refoulée en lui-même et ne le quittait plus d’un moment. « À quoi ? Pourquoi ? que se fait-il en ce monde ? » se