Page:Tolstoï - Œuvres complètes vol1.djvu/220

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

à grands pas, elle marchait rapidement dans la chambre, puis tombait en syncope.

Une fois, j’entrai dans sa chambre : elle était assise, comme à l’ordinaire dans son fauteuil et semblait tranquille, mais son regard me frappa. Ses yeux étaient grands ouverts, mais son regard était vague, hébété. Elle me regardait en face, mais probablement sans me voir. Ses lèvres commencèrent à sourire et elle parla d’une voix douce, tendre : « Viens ici, mon cher ami, approche-toi, mon ange. » Je crus qu’elle s’adressait à moi et m’approchai, mais elle ne me regardait pas : « Ah ! si tu savais, mon âme, comme je me suis tourmentée, et comme je suis heureuse que tu sois venue ! »

Je compris qu’elle s’imaginait voir maman et je m’arrêtai : « Et l’on me dit que tu n’es plus — continua-t-elle en fronçant les sourcils, — quelle sottise ! Peux-tu mourir avant moi ? » Et elle éclata d’un rire nerveux, effrayant.

Seules, les personnes capables d’aimer fortement peuvent éprouver une douleur forte, mais ce même besoin d’aimer sert de contre-poids à la douleur et la guérit. C’est pourquoi la nature morale de l’homme est encore plus vivace que sa nature physique : la douleur ne le tue jamais.

Une semaine plus tard, grand’mère put pleurer et se sentit mieux. Sa première pensée, quand elle retrouva la conscience, fut pour nous, et son amour