qu’il eût cessé de nous aimer et je voulus lui exprimer ce sentiment.
— Permettez-moi de vous aider, Karl Ivanovitch ? — dis-je en m’approchant de lui.
Karl Ivanovitch me regarda et de nouveau se détourna, mais dans le regard rapide qu’il jeta sur moi, je lus, non l’indifférence, par laquelle je m’expliquais sa froideur, mais une tristesse sincère, concentrée.
— Dieu voit tout et sait tout, en tout est sa sainte volonté, — prononça-t-il en se redressant de toute sa taille et en soupirant profondément. — Oui, Nikolenka, — continua-t-il en remarquant l’expression de sympathie réelle avec laquelle je le regardais : — mon sort est d’être malheureux depuis l’enfance même, jusqu’aux planches du cercueil. On m’a toujours payé par le mal le bien que j’ai fait aux hommes, et ma récompense n’est pas ici-bas, mais là-haut, — fit-il en montrant le ciel. — Si vous connaissiez mon histoire et tout ce que j’ai souffert dans cette vie !… J’ai été cordonnier, j’ai été soldat, j’ai été déserteur, j’ai été fabricant, j’ai été précepteur, et maintenant je suis zéro, et pour moi comme pour le fils de Dieu, il n’y a où poser la tête, — conclut-il, et, fermant les yeux, il se laissa tomber dans son fauteuil.
En remarquant chez Karl Ivanovitch cette humeur sentimentale, dans laquelle, sans faire attention aux auditeurs, il exprimait pour lui-même