Page:Tolstoï - Œuvres complètes vol1.djvu/285

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entré aussi dans le débit. Pendant la conversation, papa me dit : « Vous savez probablement, jeune homme, où est notre armée ? Je répondis : « Je viens moi-même de l’armée, elle est près de Vienne. — « Notre fils était soldat — fit papa — et voilà neuf ans qu’il ne nous a pas écrit et nous ne savons pas s’il est vif ou mort. Ma femme pleure toujours… » Je tirai une bouffée de ma pipe et dis : « Comment se nomme votre fils et où a-t-il servi ? Je le connais peut-être… » — « Il s’appelle Karl Mayer et il a servi dans les chasseurs autrichiens, » répondit papa. « Il est de haute taille et bel homme comme vous », ajouta sœur Mariechen. Je dis : « Je connais votre Karl ! » — « Amalia ! » — sagte auf einmal mein Vater[1] — « viens, viens vite ici, il y a un jeune homme qui connaît votre Karl ! » Et ma chère maman entra de la porte du fond. Je la reconnus immédiatement. « Vous connaissez notre Karl » fit-elle en me regardant, et toute pâle, elle trembla ! » « Oui, je l’ai vu », dis-je et je n’osais lever les yeux sur elle, mon cœur voulait sauter. « Mon Karl est vivant ! » exclama maman. — « Dieu soit loué ! Où est-il mon cher Karl ? Je mourrais tranquille si je pouvais voir encore une fois mon fils bien-aimé, mais Dieu ne le veut pas ! » Et il a pleuré… Je n’y tins plus… « Maman ! » — dis-je : « Je suis Karl ! » Et elle tomba dans mes bras.

  1. Dit une fois mon père.